XVII
Où temps qu’Alissandre regna,
Un hom nommé Diomedès
Devant lui on lui amena,
Engrillonné pouces et dés
Comme un larron, car il fut des
Ecumeurs que voyons courir ;
Si fut mis devant ce cadès
Pour être jugé a mourir. |
Au temps du règne d’Alexandre, on amena devant celui-ci un homme nommé Diomède, lié comme un voleur par des poucettes, car il était de ceux que nous voyons écumer les mers. Il fut donc présenté à ce juge en procès criminel. |
XVIII
L’empereur si l’araisonna :
« Pour quoi es tu larron de mer ? »
L’autre réponse lui donna :
« Pour quoi larron me fais nommer ? »
Pour ce qu’on me voit écumer
En une petiote fuste ?
Se comme toi me pusse armer,
Comme toi empereur je fusse. |
L’empereur l’interpella :
« Pourquoi es-tu larron en mer ? »
« Pourquoi m’appelles-tu larron ? » répondit l’autre. « Parce qu’on me voit courir les mers dans un petit vaisseau ? Si j’avais pu m’équiper comme toi, comme toi je serais empereur. |
XIX
« Mais que veux-tu ? De ma fortune
Contre qui ne puis bonnement,
Qui si faussement me fortune
Me vient tout ce gouvernement.
Excuse moi aucunement,
Et sache qu’en grand pauvreté,
Ce mot se dit communément,
Ne gît pas grande loyauté. » |
Mais que veux-tu ? Toute cette mauvaise conduite vient de mon infortuné destin, contre lequel je ne puis rien. Pardonne moi, et n'oublie pas que la misère, comme on dit, n’engendre pas la vertu. |
XX
Quand l’empereur ot remiré
De Diomedès tout le dit :
« Ta fortune je te muerai
Mauvaise en bonne », si lui dit.
Si fit il. Onc puis ne méfit
A personne, mais fut vrai homme,
Valère pour vrai le baudit,
Qui fut nommé le grand à Rome… |
Quand l’empereur eut réfléchi aux paroles de Diomède :
«Je changerai ton mauvais destin en bonne fortune. » lui dit-il. Et il le fit. A compter de ce jour, Diomède cessa de faire le mal, et devint un homme juste et loyal. Valère, qui fut nommé « le grand » à Rome, tient ceci pour authentique. |
XXI
Se Dieu m’eût donné rencontrer
Un autre piteux Alissandre
Qui m’eût fait en bon heur entrer,
Et lors qui m’eût vu condescendre
A mal, être ars et mis en cendre
Jugé ma feusse de ma voix.
Nécessité fait gens méprendre
Et faim saillir le loup du bois. |
Si Dieu m’avait donné l’occasion de rencontrer un Alexandre assez doué de pitié pour faire mon bonheur, et que je sois retombé dans le vice, je me serais jugé moi-même et condamné au bûcher. La nécessité est source d’erreur, et la faim fait sortir le loup du bois. |
François Villon (1431- ?) Le Testament – 1462 – strophes XVII à XXI |
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