Observez les lis des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux.
Mt 6,28-29
Le diable à leurs trousses, les chalands filent en grondant sur la Seudre, la proue braquée vers la sortie de l'estuaire dont les eaux commencent à refluer. L'air est gorgé d'une lumière blanche et nette dans laquelle les distances du bassin semblent se réduire à celle d'un lac.
La vase des rives désertes, encore à demi submergée, est parsemée de salicorne et de ferraille rouillée. Paysage immobile dont la déshérence constitue la sauvegarde, et l'étrange beauté. Horizon couché, dont les seules lignes verticales sont celles des clochers épars.
C'est dans ce décor à demi maritime, entre les ponts et les rives basses, entre Marennes et Oléron, entre sables et vases, dans le palpitement des marées, qu'il faut venir se régaler de ce texte incomparable, et d'une douzaine d'huîtres locales arosées de ce vin de pays, un peu vert, et qui donne soif.
On comprendra, en lisant ce livre, que l'huître mène une vie terrible, mais palpitante. Depuis son "insouciante jeunesse" jusqu'à notre table, que d'aventures savoureuses et de délicieuses anecdotes, des côtes de Pennsylvanie à celles du Pacifique, des rives de Louisiane à celles de France !
Bisque d'huîtres, crème d'huîtres, huîtres au four, omelette de Hang Town, et comment fabriquer une perle fine... M.F.K. Fisher nous invite à sa table, et ce n'est pas rien. Comme elle l'avoue dans un autre livre, «Partager un repas avec quelqu’un est un acte intime qui ne devrait pas être pris à la légère.*». Tout en se laissant séduire par le charme enjoué de la conversation, on comprend en effet que la cuisine est ici chose sérieuse et profonde, métaphore culturelle enracinée dans tout ce qui est humain. On repense au poète W.H. Auden, qui considérait M.F.K. Fisher comme "la plus grande styliste de langue anglaise", et l'on reste ébloui devant l'intelligence, l'humour subtil et l'élégance cultivée de cette femme remarquable**.
P.S. 1 : Un grand merci à Bridget, grâce à qui j’ai pu déguster ce texte dans sa langue originale*** !
P.S. 2 : Honneur et gratitude à Olivier, qui a découvert sur YouTube une émouvante vidéo consacrée à M.F.K. Fisher à l'adresse suivante : http://www.youtube.com/watch?v=-ByAih3jw5I
*M.F.K. Fisher - L’Art de manger - 1954
** Lire l'article de Molly O'Neill publié dans le NEW YORK TIMES du 24 juin 1992 à l'occasion de la mort de M.F.K. Fisher.
*** M.F.K. Fisher - Consider the Oyster - North Point Press - New York 1996
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