Le 27 décembre 1831, un navire de la Royal Navy quitte le port de Plymouth sous le commandement du capitaine Robert FitzRoy.
Bien qu’il s’agisse à l’origine d’un bâtiment militaire, la mission du Beagle est à la fois stratégique et scientifique : il s’agit de mener une exploration hydrographique de deux ans au long des côtes de l’Amérique du Sud, et jusqu’aux Galápagos, avec établissement de cartes pour le commerce et pour la guerre, recherche de points de repères, calculs de longitudes, observation des marées et des conditions météorologiques… Le capitaine FitzRoy s’attend donc à deux rudes années de travail. Mais il se souvient aussi que l’officier commandant le même bâtiment au cours de l’expédition précédente s’est suicidé… Afin d’éviter que le stress et la solitude n’aient aussi raison de lui, et après avoir fait réviser et consolider le « cercueil flottant » qu’était le Beagle, il s’est donc mis en quête d’un passager de bonne compagnie qui partagerait son intérêt pour la science et lui permettrait en quelque sorte d’échapper à la solitude de son poste.
C’est ainsi qu’un jeune homme de 22 ans, frais émoulu d’une université de théologie, et géologue amateur, a été choisi pour tenir lieu de compagnon de voyage (mais s’acquittant de ses propres dépenses…) auprès du capitaine Fitzroy…
Dès le départ, les sujets de tension ne manquent pas d’apparaître entre celui-ci, Tory convaincu, et son « passager » de tendance whig, à qui le capitaine reproche entre autres d’avoir un nez qui dénote… un manque de détermination ! Tous deux s’efforcent cependant tant bien que mal de se supporter, malgré les opinions bien arrêtées de l’un et le mal de mer de l’autre. Et ils ont bien raison de prendre patience, car ce n’est qu’en 1836 que le capitaine Robert FitzRoy ramènera son navire et son passager en vue des côtes de Cornouailles, après une circumnavigation de cinq ans, considérée jusqu’à nos jours comme une des plus retentissantes expéditions de l'histoire des sciences.
Ce jeune scientifique « de compagnie » se nommait en effet Charles Darwin.
Dans Le Voyage du Beagle, publié en 1838, il évoque les découvertes et observations de toutes sortes (plantes, animaux, fossiles, roches, vie et mœurs des populations d’Amérique et d’Océanie…) auxquelles l’a confronté sa curiosité de jeune savant, à une époque où le monde était encore à découvrir. Ce récit contient déjà les bases de la théorie de l'évolution par la sélection naturelle et préfigure l’ouvrage majeur que sera, en 1859, L'Origine des espèces.
Le tout dernier paragraphe de ce "journal de bord" porte un regard émouvant sur la notion même de voyage, et l’intérêt à la fois scientifique et humain qu’il présente pour toute intelligence curieuse des « merveilles de la nature ». Aussi m’a-t-il semblé mériter, dans le cadre de ce blog, une modeste et respectueuse traduction…
"J’ai trop profondément apprécié ce voyage pour ne pas recommander à tout naturaliste, quand bien même il n’aurait pas la chance d’avoir les mêmes compagnons que moi, de saisir chaque occasion de partir au loin. Il peut se rassurer : excepté en de rares occasions, il n’y rencontrera ni autant de difficultés ni autant de dangers qu’il l’aurait cru. D’un point de vue moral, un tel départ devrait avoir pour effet de lui enseigner une patience souriante, le détachement par rapport à soi, l’habitude d’agir par soi-même et de tirer le meilleur parti de tout événement. En bref, il devrait être amené à partager les qualités majeures de la plupart des marins. Le voyage devrait aussi lui enseigner la méfiance ; mais il découvrira tout à la fois combien sont nombreux les gens au cœur sincère, qu’il n’aura encore jamais rencontrés et ne rencontrera plus, et qui seront prêts néanmoins à lui offrir l’aide la plus désintéressée."
A NATURALIST VOYAGE ROUND THE WORLD, by CHARLES DARWIN
Project Gutemberg / texte intégral (en anglais)